Le révérend Saddlerian venait de quitter la taverne, main dans la main d'Alyanne'shaan, sa vénérable sœur et ses pensées étaient confuses. Le souvenir de Lenoia demeurait une plaie à vif en son cœur, il s'étonnait de cet écart face à son code personnel de valeurs. Sa détermination devait reprendre pas sur ces émotions proscrites, ces afflictions qui affaiblissaient selon lui son esprit. Il pris conscience que la poésie pouvait être dangereuse pour son intégrité spirituelle, une telle cascade de mot pouvait ruiner ses entrailles telles des lames de rasoirs...Les souvenirs et les regrets...L'amertume et la tristesse ne n'avoir su agir au seul moment ou cela eut été primordial...
Une fois qu'il eut guidé avec tendresse sa si chère sœur à son lit, il veilla à ce que celle ci s'endorme sereinement, observant les soupirs teintés de songes de la jeune femme endormie, assis sur un fauteuil de soie bleu nuit non loin de celle ci. Le révérend pris soin de chasser ces noires pensées, concentrant son attention sur les espoirs qui reposaient sur les épaules de la délicate fleur noire qui dormait devant lui. "Les morts méritent notre souvenir, les vivants notre pleine attention...Aucun espoir ne peut naitre lorsque l'on poursuis des rêves..." songea il en laissant glisser sa main squelettique et desséchée sur le rebord en noyer de son fauteuil luxueux. Récitant intérieurement d'antiques prières pour calmer ses ardeurs, il redis posa à ses lèvres la fiole qui se trouvait à sa ceinture, la saisissant d'un geste lent et portant le liquide noirâtre qu'elle contenait à sa bouche.
Le poison des antiques Saddlerian.
Une morphine des sens et des troubles.
Il ferma les yeux, laissant le mélange alchimique fondre en ses veines violacées.
Une longue expiration suivie les premiers effets du breuvage. Soulagement et plénitude. Le révérend leva le front au cieux, ouvrant ses yeux qui scintillaient alors d'une lueur spectrale, mystérieuse, transcendante...
Il indiqua à un serviteur de se poster près de la porte pour garder les lieux d'un geste impérieux de la main, prenant par la suite confortablement place dans le fauteuil de soie, repensant à l'évènement poétique de la nuit, véritable échec selon lui mais qui, avec bienveillance, avait confirmé ses craintes. Les temps troubles de l'obscurantisme approchaient insidieusement, le nectar de l'ignorance enivrait les ruelles de la Sombre, maintenant les Nargoliths dans une fausse idée du progrès et de la foi. Les arts se suscitaient plus d'intérêt à la populace au même titre que le culte de leur Cillias souverain.
Il fallait agir vite et avec fermeté. L'esprit conservateur des Saddlerians s'éveillant avec rage en les yeux du révérend, en ces temps qui lui semblaient de plus en plus porter les signes du déclin. L'ainé de la dynastie des roses noires savait que seul un blason antique comme le sien pouvait apporter au Nargoliths perdus la voie des ombres, guider les fidèles loin des cultes impies qui salissaient leurs âmes, mener ceux ci à la place qu'ils n'auraient jamais du quitter, face à leurs devoirs, leurs responsabilités.
Les ombres se mouvaient délicatement aux coins de la pièce, accordant au révérend un soutient qu'il considérait comme un signe divin, un faible chandelier alimentant la chambre d'une lumière jaunâtre et maladive. Ilish'shaan prononça une courte prière, son dernier souffle condamnant la pièce à sombrer dans les ténèbres, son dernier mot prononcé face aux minuscules flammes du chandelier, bannissant celles ci à jamais pour les offrir à la nuit...
"Craignez la flamme noire du dévoreur de monde,
De celui qui arpente les corridors glacés de l’outre monde,
Craignez le regard glacial de la sagesse immortelle,
De ces secrets pouvant déchirer vos yeux...."
(Extrait du "Voile de Narshoul").