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| Méditations impromptues | |
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Aseodreris, Drakan
Nombre de messages : 6 Date d'inscription : 14/02/2009
| Sujet: Méditations impromptues Dim 15 Fév - 19:59 | |
| Le Temps.
Du temps, Aseodreris avait une bien singulière impression. Tantôt convention absolue, sensée uniquement comme donnée et fatalité des vies teiliennes, impalpable et appréhensible seulement par les niveaux les plus élevés et abstraits de la psyché drakanne; il devenait, dès que l’on fixait sur lui une attention soutenue et limpide, un voile fin aux mailles grossières, diagramme mobile et systématique des expériences mortelles & notable handicap à la lucidité utilitaire des autres; d’eux-autres.
« C’est là, cogitait-il, le plus grand don de Kronos à ses protégés. Ni la domestication de l’animalité, ni l’affinement du corps physique : c’est l’immunité aux effets du Flux Souverain qui nous fait, avec la Raison, apte à la responsabilité de l’évolution et de la pérennité des draks frères. Le souffle de l’Usure réduit à la poussière les fondations même les plus judicieusement construites et dissipe les échos des plus grands noms, entraînant avec eux vers l’abîme de l’oubli toute idée leur étant attachée. S’il faut à cet Univers une cohésion, un pilier stable pour soutenir sa vérité, nous en sommes les maçons et gardiens : conçus du plus primal organisme pour guider les plus civilisés. » À ces pensées s’élevait en lui une franche reconnaissance. Elle montait vers Kronos, vers sa mission dont « ils étaient éléments et bénéficiaires, Serviteurs élevés en valeur au-dessus des Rois afin d’être Soutient et Guidance pour chaque convive. Envers le Maître d’œuvre toujours s’acheminait cette action de grâce, définie comme une idée et dynamique comme une passion.
Aseodreris avait fait de l’entrée à l’Opale Éternelle le jour premier de son souvenir continu. De l’ère antérieure il avait conservé, entiers et inentamés : les sermons et les démonstrations de son vieux maître, quelques notables échanges dialectiques, les horreurs et les grandeurs des combats, les méditations et leurs fruits, les plus harmonieuses passes d’armes & l’admiration des siens, pure & pédagogique : l’exemple qu’ils furent. Tout cela encadrait son esprit comme un rosaire de perles variées, mais identiques en grâce, sans considération aucune pour « l’ordre » dans lequel elles lui étaient venues. Elles étaient des conscientisations qu’il retrouvait régulièrement, les fragments d’une grande vérité qu’il réintégrait, réassimilés au besoin et à plaisir.
Il ignorait le nombre de mues ou de grandes éclipses qu’il avait connu à ce jour et ignorait encore davantage la valeur qu’une pareille information eût pu avoir. Il présumait son inexpérience relative par le développement juvénile, presqu’imperceptible des cornes qui ornaient son front, et ne tirait de cette état ni honte, ni fierté. Méditant ses opinions, filtrant ses pensées et cultivant les états les plus élevés lui étant accessibles, sa quotidienne éternité consistait à «perfectionner sa perfectibilité» jusqu’à l’heure où elle pourrait être mise à profit. | |
| | | Aseodreris, Drakan
Nombre de messages : 6 Date d'inscription : 14/02/2009
| Sujet: Re: Méditations impromptues Dim 15 Fév - 20:05 | |
| La Lumière.
Une haute silhouette se trouvait là agenouillée, entourée d’une lumière diffuse et tamisée, devant une table très basse couverte de papyrus aux matériaux et aux alphabets variés, les yeux mi-clos dans une attitude de concentration sereine. Les deux genoux fermement joints, socle et soutient inébranlable du corps, transmettant à l’esprit discipliné la fermeté nécessaire à la poursuite de son ouvrage. Des éternités, déjà, qu’Aseodreris était là, voguant sur le flot des morts et renaissances perpétuelles de la conscience, des illusions émergentes puis dissipées, de l’égo tout-puissant puis effacé, de l’idée exclusive à la conviction englobante. Et pourtant, ces éternités, c’était un jour dans l’opale, peut-être le seul. Aube et aurore perpétuel.
À l’étude, il s’était fait une règle désormais de délaisser la forme verbale, nécessaire pour la transmission écrite, dès qu’il entrait en processus d’assimilation des connaissances : qu’elles puissent devenir Savoir véritable. Dès qu’il avait à l’esprit une figure définie, il jonglait avec elle, la caressait ou la pressait, jusqu’à la rendre malléable, puis informe et volatile, essentielle. De cette essence, il revenait par souffles graduels à la matière plus dense de la pensée-dite, pour être en mesure d’en faire le partage, le jour où l’on y pourrait trouver utilité.
Les feuillets étendus devant lui, d’origines hétéroclites, traitaient visiblement des usages linguistiques divers, d’une grammaire Drakanne surannée, d’hypothèses audacieuses sur les radicaux étymologiques communs hérités du contact Ophidien, et bien d’autres subtilités érudites encore. Le regard posé sur cet amas d’informations éparses, l’œil limpide mais calme, le corps parfaitement immobile, il semblait bien davantage embrasser par l’esprit la somme du savoir réuni que de le consulter véritablement, de tenter d’en extraire par l’effort mental quelque concentré que ce soit.
En son esprit, comme des pierres taillées, s’assemblaient les fragments des données qu’il venait d’acquérir. Et comme sur un chantier éthéré, se bâtissait une maxime précise, rigide et finie :
L’esprit est la mesure de toute chose; les choses sont telles qu’elles paraissent à chaque être; il n’est pas d’autre critère du réel. Au-delà du réel se trouve…
C’était là qu’il devait en venir, un terme, une expression qu’il devait engendrer, et peut-être toucherait-il une idée neuve. Ça n’était ni sa volonté, ni son intention. Il ne connaissait plus ces pulsions, émotives ou mentales. Il y arrivait toutefois. Une chose l’interrompit au seuil de sa création. Une chute lourde ou une élévation soudaine, au plus profond de ce chantier, qui le balaya d’un souffle astronomique et déjà évanoui. Ne restait plus que l’œuvre, épurée.
Autour de ce pilier unique, d’un blanc immaculé et translucide, construit de flux psychique et rationnel, défilait maintenant une contrée bien réelle, géographique et architecturale, qu’il connaissait sans que jamais ses yeux ne l’impriment à sa cervelle. Des bâtiments de briques scintillante, d’ébène et d’argent, des fontaines chantantes ou muettes, un grand damier d’ombre et de lumière ou chaque pièce se transfigurait selon les facettes multiples qu’elle arborait…
Un éclair, une lumière indescriptiblement blanche et puissante emplit en un instant le lieu d’étude, ne laissant pour toute preuve de sa trop évanescente manifestation que l’œil toujours aveuglé des témoins. C’est le pas ferme et égal qu’Aseodreris, conservant dans l’œil comme dans les écailles une part de l’éclat qui venait d’investire son univers, se dirigeait vers la sortie, les murs répétant l’écho de son unique parole :
« Sssombrum. » | |
| | | Aseodreris, Drakan
Nombre de messages : 6 Date d'inscription : 14/02/2009
| Sujet: Re: Méditations impromptues Mar 17 Fév - 14:02 | |
| Dédicace Matinale.
Les deux genoux fermement joints, base pyramidale soutenant l’ensemble du corps, racines épaisses de l’arbre palpitant dont la cime touchait le ciel par les ramifications de l’esprit, le nouveau résident de Sombrum devenait le monument unique de cette plage, sur la rive opposée à la cité, reproduction miniature du mont imposant qui s’élevait derrière lui. Le Drakan méditait. Les rayons juvéniles du grand astre, audacieuses langues de feu, caressaient la peau épaisse et insensible du méditant au sang froid. Les pieds nus et le torse reptilien entièrement exposé, n’ayant pour support à la pudeur qu’un pagne de toile épaisse, on distinguait entre des amas de sable sombre et ferreux un éclat subtil et blafard miroitant sur ses écailles lisses. Comme si la lune, dans la timidité de sa retraite, concentrait avant de s’évanouir définitivement le résidu évanescent de sa lumière sur l’un des rares êtres éveillés à cette heure trop matinale. Dans son recueillement, Aseodreris brillait de blanc et d’or.
La marée descendait lentement, avec la sagesse tranquille d’une âme qui s’est accoutumée à un rythme unique. Les vagues qui quelques heures plus tôt submergeaient les jambes du reptile le quittaient maintenant avec des clapotis réguliers et sereins, chantant un adieu sans tristesse. Elles emportaient, déjà couverte de leur fine écume, une banderole multicolore de fleurs hétéroclites. Leurs couleurs intenses s’enrichissaient d’une dizaine de teintes neuves par le miroitement d’émeraude et d’opale qui semblait briller, trésor inestimable, au fond des eaux. Leurs effluves, d’abord étouffés par la brise saline, en renaissait maintenant amplifiés, comme affinés et se mariant dans le plus harmonieux arôme, parfum sublime né de l’art, complice et absolu, des forces protagonistes de la nature. Microcosme de l’Univers où il évoluait, façonné de ses mains et désormais retournant sans lien aucun vers l’infini d’où il était issu, cette offrande était une pratique quotidienne qui ne s’apparentait en rien à la routine. Acte perpétuel, même dans le non-agir, le moment ultime de cet accomplissement voyait revenir, des tréfonds de la psyché de son créateur, le Verbe signifiant le retour à la réalité commune. Vérité fragmentée aux faces infinies, mais partagée au moins dans l’illusion de ses perpétuels sculpteurs. La voix pieuse sortait de sa torpeur.
Alors que s’éloignait la banderole éclatante, s’élevait, harmonieux et subtil, un chant en langage Drakan, des termes hermétiques et indivisés pour l’oreille non-habituée. Ce sifflement modulé avec une maîtrise parfaite, une cohésion qui la mêlait aux vents de l’aurore, qui s’élevait au-dessus des murs silencieux de Sombrum, pour être porté bien plus loin encore, serait limpide à quiconque savait entendre le Mot comme le bruissant manteau confortable et nécessaire, mais infiniment laid et grossier sur une âme mise à nue.
Et voici ce qu’il y entendrait :
Souffle de mon souffle, toujours j’essaierai de garder mon corps pur, sachant que sur chacun de mes membres repose ton vivant toucher. Toujours j’essaierai de garder de toute fausseté mes pensées, sachant que tu es cette Vérité qui éveille la lumière de la raison en mon esprit. Toujours j’essaierai d’écarter toute méchanceté de mon cœur et de maintenir en fleur ma Sagesse, sachant que tu as ta demeure dans le secret autel de mon cœur. Et constant sera mon effort de te révéler dans mes Actes, sachant que c’est ton pouvoir qui me donne force pour agir.
Lorsqu’on n’en voyait plus rien, que le don avait été dissout dans la clarté solaire et engloutit dans l’obscurité marine, alors seulement se relevait Aseodreris. L’œil calme, encore mi-clos, il reprenait avec recueillement le chemin de La Sombre où l’attendait bien du travail… | |
| | | Aseodreris, Drakan
Nombre de messages : 6 Date d'inscription : 14/02/2009
| Sujet: Re: Méditations impromptues Ven 16 Oct - 18:08 | |
| Génération
«...mais le Maître Eneichem est mort.» Les traits délicats de la jeune Hastane, de resplendissants qu'ils furent, se rétractèrent une seconde et devinrent nostalgie poignante, nudité d'une douleur grimaçante.
Aseodreris accusa un choc important : il prenait une conscience soudaine et absolue de l'effet du temps sur l'environnement. Une génération entière, peut-être davantage, avait coulée au creux des rues de la cité, dans les artères de la république, et s'y était abîmée depuis son départ. Le monde qu'il avait trop brièvement entrevu était depuis longtemps éteint et nécrosé, et de ce qui n'avait pas été momifié par les lettres ou le marbre s'enrichissait l'Univers neuf qui prospérait désormais. Tout ça, le temps d'une retraite, d'une méditation...
Rejaillit en lui le pouvoir de cette période illimitée, suivant la chute des murs opaques de la perception, cette conscience du Flux, la dissipation de l'individualité qui faisait Voir et Être au-delà de la plus fertile imagination d'un cerveau mortel. Se réimposèrent à lui les éternels axiomes d'une sagesse informulée à jamais. Cette lumière d'une blancheur éblouissante, il avait d'abord appris à n'en être ni souffrant, ni aveuglé. Par une progression qui se faisait hors des ornières du temps et de l'énergie, il y avait vu ce qu'elle lui montrait et cru-même parfois y trouver ce qu'il cherchait. À des milliers d'occasions, il s'était perdu en elle, à des milliers d'occasions, il l'avait perdu en lui. Elle était Identité et Transport, mêlant toutes les nuances du spectre de l'Être, du Présent, les associant toutes. Qui la connaissait s'effaçait; elle le prenait. Celui-là devenait l'Unique Vérité, celle qui, comme l'aimant, repousse chaque réalité individuelle endormie, ou l'aspire et l'incorpore. Puis il avait appris à la tamiser du voile bienfaiteur du devoir et de la responsabilité, de l'objectif. Alors elle devenait jaune et ronde, chaude et docile, puits sans fin de souffle et de flamme.
Son corps de sang et d'écailles l'avait ré-accueilli alors, au creux d'un grotte profonde dont il avait tout ignoré des colocataires, dans la grande montagne face à la ville. Parce qu'il était revenu à la conscience profane, la Voix Sacrée pris en lui des termes profanes : Il faudrait maintenant apprendre à tisser le voile bienfaiteur à partir de la force ardente de la Vocation. Cela, il ne pourrait le faire qu'au milieu des mortels & des vivants.
Dans un sursaut, il revit la pimpante Nellya, qui avait regagné ses sens, sa grâce et sa convivialité. Espérant sa distraction brève, il acquiesça à son invitation et la suivit pour partager leurs mémoires du défunt et les nouvelles de La Sombre. Il savait très bien où était désormais son compagnon d'alors, et sous quelle forme. Il ne souffrirait pas le départ de Lodlo Eneichem, aussi cher qu'il lui fût. Leurs paroles avaient été brèves, mais sensées et entendues. Nul mortel n'eût pu être mieux préparé à la dernière désillusion que celui-là, et nul n'eût pu en apprécier plus justement les richesses. Ce soir là, toutefois, c'est une banderole florale de lys et de digitales pourpres qui flottait vers le couchant, et une pensée pour ceux qui y avait trouvé le repos. | |
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