Fin des Abysses 4021 :
A.N. : « Pour les orphelins… Je ne demande qu’une poignée de main… » Lui dit l’inconnu en lui tendant la main.
L’approche était honteusement grossière, l’issue prévisible.
Il n’y avait qu’eux dans la salle d’entrainement. Aucun autre témoin. Evëna était à sa merci.
Alors qu’elle lui s'exécutait, elle sentit que, de sa main libre, il en profitait pour lui faire les poches. Il lui laissa à peine de quoi subsister en ce froid abyssal mais elle ne dit rien.
On dit que les yeux sont le miroir de l’âme. Ce qu’elle pouvait voir dans les siens ne lui plaisait pas du tout…
Année 4004 : Le miroir brisé.
L’ouverture des hostilités de l’an 4004 marqua l’avènement d’une ère de changement pour tous les peules de Teilia. C’est durant cette période que la vie Evëna prit une tournure qu’elle n’avait pas du tout envisagé.
Plusieurs personnes de son entourage proche allaient quitter la cité. Notamment Alexël et Mëliël Irsham.
-Alexël Irsham était un escrimeur hors-pair ainsi qu’un très ancien collaborateur du père d’Evëna. Ce dernier étant commerçant, il multipliait les voyages entre Sombrum, Kar et parfois Mortancia. Alexël lui servait donc, en permanence, de garde du corps. De ce fait, il résidait dans l’une des ailes de la maison Kaëla. Plus tard, il devint le maître d’armes d’Evëna.
-Mëliël n’était autre que la fille unique d’Alexël. Elle avait grandit avec Evëna et, même si elles avaient toutes les deux le même âge, s’occupait des corvées sous la supervision de cette dernière. Sur le plan physique, elles se ressemblaient tant qu’il arrivait même aux domestiques de les confondre l’une et l’autre.
La relation qui s’était instaurée entre elles avait évolué, au fil du temps, partant d’une grande complicité dans l’enfance pour subitement se transformer en une rivalité sans borne, une fois qu’elles eurent atteint leur cinquantaine. Elles suivaient leurs études séparément. Les leçons d’escrime d’Alexël étaient les seuls cours qu’elles avaient en commun. C’était le moment ou leur rivalité pouvait s’exprimer sans plus aucune retenue.
Alexël allait bientôt quitter la maison Kaëla pour prendre part à la guerre en tant que mercenaire. Mëliël devait le suivre afin de le seconder sur les champs de bataille. C’est là-bas qu’elle devrait faire ses preuves ; qu’il déciderait si sa fille était digne de porter son nom.
A la veille de leur départ pour le front, Evëna fut conviée par Mëliël à ce qu’elle pensait n’être qu’un entrainement d’adieu. Les deux jeunes filles n’étaient pas très portées sur les effusions de bons sentiments. Leur séparation se résumerait donc à cet ultime duel. En cette occasion, les armes seraient réelles : ce serait un duel au premier sang. Alexël serait là pour s’assurer que personne ne soit tué. Jusqu’à présent, Evëna était toujours sortie vainqueur de leurs affrontements. La confiance en ses capacités était donc de mise.
Comme convenu, au crépuscule, elle se présenta sur la grande cours carrelée de la demeure. Là, l’attendaient déjà les Irsham. La fille se tenait droite, au beau milieu de l’aire de combat, une Musarèche en main. Elle attendait, le regard calme et serein.
Le père qui tenait lieu d’arbitre, comme à l’accoutumée, était adossé à un mur, les bras croisés C’est avec une expression plus grave qu’il accueillit l’invitée de sa progéniture.
Sans dire mot, dégainant une Lysardèse, Evëna prit place face à sa rivale qui se mit aussi en garde. Elles se fixèrent toutes deux, les yeux dans les yeux, durant une longue minute. C’était une scène qu’elle avait déjà vécu des centaines, peut-être même des milliers de fois.
Il y avait cependant quelque chose de différent dans le regard de son hôte, cette fois là. Un léger sentiment de malaise s’emparait d’elle, sans qu’elle ne saurait dire pourquoi. Face au regard perçant que lui lançait Mëliël, elle se sentait telle une souris épiée par un chat toutes griffes dehors. C’était la première fois qu’elle ressentait cela.
Les lueurs du couchant éclairaient la scène du dernier acte de leur rivalité d’enfance.
Alexël leva le bras droit, en silence, avant de fendre l’air d’un geste sec, du tranchant de la main. Le signal de départ était donné.
Mëliël s’élança aussitôt, démontrant une vivacité et une technique dont elle n’avait jamais fait preuve auparavant. Face à la rapidité et à la puissance des enchainements de son adversaire, la pression était énorme. Elle la poussait même à tenter de bloquer ou de contrer des attaques qui n’existaient pas, la menant peu à peu à la faute fatale. Impossible de distinguer le vrai du faux.
Les sens complètement brouillés, Evëna fut d’emblée réduite à rester concentrée sur sa défense.
Bien trop habituée à des échanges amicaux, l’héritière Kaëla ne s’attendait pas à une telle férocité de la part de sa rivale de toujours qui prit rapidement l’avantage et la désarma sans trop de difficulté.
Ebahie, l’échange lui parut avoir duré cinq bonnes minutes mais, en réalité, il ne suffit que d’une trentaine de secondes pour en arriver à ce résultat.
Mëliël Irsham : «Tout cela n’aura jamais été qu’un jeu, pour toi, l’enfant chérie… »
Le regard meurtrier qu’elle lui lançait, à présent, s’accompagnait d’une atmosphère pesante qui fit naitre la peur dans le cœur d’Evëna.
Pas de doute. Tout cela était bel et bien sérieux.
Elle était tétanisée par l’effroi que lui inspirait l’aura glacée de la farouche guerrière lui faisant face. Pour la première fois de son existence, elle avait peur pour sa vie. Le sentiment d’une mort imminente vint s’emparer de son être et paralysait ses jambes tremblotantes.
Mëliël Irsham : « La médiocrité se paye cher, en ce monde… » Sur ces paroles, elle brandit sa Musarèche au dessus de sa tête. Elle s’apprêtait à porter le coup de grâce.
Lui avait-elle caché ses véritables capacités durant toutes ces années ? Cela ne faisait pas un pli. Evëna réalisait enfin l’ampleur du fossé qui les séparait.
Le temps que ces pensées lui aient traversé l’esprit, la pointe de l’épée adverse commençait déjà à en faire autant avec sa figure. La pointe métallique se heurta à son crâne avant de continuer son chemin déchirant chair et peau, de son arcade sourcilière à sa joue droite. Son œil fut tranché jusqu’au cristallin. Elle ne l’avait même pas vu venir.
Un mélange d’humeur aqueuse et de sang se répandit violement à ses pieds, alors que la jeune Nargolith hurlait de douleur. Elle s’écroula sur place, les mains sur sa blessure béante.
Mëliël Irsham : « Premier sang... » Lança t’elle à la perdante, tout en posant sur elle un regard froid et hautain.
Alexël Irsham : « Ce duel est terminé. Restons-en là. » Dit-il sèchement.
Ignorant les paroles de son père, la gagnante poursuivit.
Mëliël Irsham : « Tu n’as jamais combattu que pour t'amuser. Tu n’as jamais ôté la vie.
Ce n’est una le talent qui nous différencie. C’est l’expérience. »
Alexël Irsham : « Il suffit... »
Mëliël Irsham : « Désormais, je n’évoluerai plus en ton ombre. Unath Evëna Kaëla. » Sur ces dernières paroles, elle lui lança à la tête l’écharpe rouge qu’elle portait. Puis tourna les talons et disparut de son champ de vision à jamais.
Alexël Irsham : « Tu pouvais te contenter de l’humilier. Tu n’avais una besoin de la briser. » Il poussa un soupire en se demandant comment il allait expliquer tout ça à qui de droit, puis alla quérir un soigneur.
Evëna perdit peu à peu connaissance. Sa dernière vision fut celle du dos de sa rivale s’éloignant lentement.
Malgré l’intervention rapide du soigneur de Sombrum, sa blessure à l’œil fut incurable. La blessure psychologique semblait l’être aussi. Suite à la perte partielle de la vision, elle décida d’abandonner l’escrime pour étudier l’histoire et tenter de devenir antiquaire. Une décision accueillie avec joie par son père, car elle serait plus utile à la bonne marche des affaires familiales.
Fin des Abysses 4021 :
Suite à ce qu’elle avait vécu comme une agression, les cauchemars d’Evëna réapparurent et se multiplièrent. Il y avait au moins 10 ans qu’elle n’en avait plus eu.
Une nuit, elle se réveilla en nage, ayant encore cauchemardé de ce duel. Ne pouvant retrouver le sommeil, elle éprouva le besoin d’aller à la salle d’entrainement. S’armant d’une vieille dague, elle répéta machinalement les mouvements de base qu’elle avait pratiqués durant d’innombrables heures, dans sa jeunesse. La théorie demeurait. Mais son corps affaibli par le manque d’entrainement et la captivité ne suivait plus. Un profond sentiment de bien-être l’envahit malgré tout. La satisfaction de pouvoir renouer avec cet amour perdu l’apaisa grandement.
Quelques jours plus tard, la jeune nargolith fut encore une fois approchée par un individu louche sur les quais de Sombrum. Cette fois-ci, elle ne se laissa pas faire et hurla son mécontentement à son agresseur qui prit ses jambes à son cou. Dés lors, les cauchemars s’arrêtèrent.
Parfois, elle se demandait si l’émergence de ce souvenir désagréable n’était pas le fruit de ce pensionnaire indésirable à qui elle devait son nouvel œil droit. Tel un message pour lui signifier qu’elle avait recouvré une vision parfaite, qu’il était tant qu’elle oublie le passé, qu’elle devait reprendre les armes afin d’assurer sa protection… leur protection…
[À suivre]
Sujet: Chroniques d'Evëna Kaëla. -Mort et Renaissance- 
Jeu 19 Fév - 19:09