Il y a parfois des objets ordinaires, sans autre intérêt que le souvenir que vous leur accordez, qui peuvent vous sauver la vie.
Je m'appelle Kenesha. Je suis rarement à Sombrum, il faut bien l'avouer. Je joue les marionnettes pour un marionnettiste qui n'a que d'étranges figures à me faire faire. Je les exécute, par habitude et parce que je suis une marionnette.
J'étais encore une fois près de Kar. Je devrais songer à m'intégrer dans un groupe, cela m'éviterait sans doute de devoir courir constamment comme je le fais.
- Qui va là ??
- Halte !!!
- A la gaaaaarde !!
- Tais-toi crétin, on n'est pas à Citria !!
Coup de poing sur la tête du hurleur. Et l'élément déclencheur pour me pousser à courir. Je commence à devenir bonne à la course, à force de courir. C'est étonnant comme les gens n'aiment pas être observer !
J'aime bien Kar. C'est l'endroit idéal pour semer les poursuivants. De larges forêts pleines d'arbres, des falaises abruptes, un chemin facile à emprunter. Et habituellement la nuit est mon alliée. Les Hastanes ne voient plus rien dès que leur Cilias se cache.
Bon, j'avoue que je n'y voyais pas grand chose non plus. La lune cette nuit, s'était cachée, boudeuse. Je courais donc un peu à l'aveuglette. Mais je connaissais ce chemin par coeur ! Du moins le croyais-je.
J'entendais la course de mes poursuivants se rapprocher. Ils avaient beau être plus lourds que moi, ils avaient visiblement de l'entrainement. Je sentit presque une main me frôler. J'obliquais vivement sur la droite, glissant sur les cailloux.
- Il est là !!!
Sa main se referma sur le vide, mais il s'en était fallut d'un cheveux que ce ne fut sur mon bras. Je bénis ma brillante idée de ne pas mettre de cape et d'arborer des vêtements moulants. Juste avant de retenir un cri.
Un hurlement aurait été idéal à dire vrai. Le sol venait de se dérober sous mes pieds et au lieu du chemin que je pensais avoir emprunter, le ressac blanchissait la mer à quelques vingt mètres sous moi.
J'avais tendu la main, presque par réflexe, mais rien sur cette falaise ne pouvait me retenir, la forêt était trop loin. Vraiment ? A dire vrai, mon Cilias a dû faire des heures supplémentaires. Car une vieille racine qui n'alimentait plus rien dépassait faiblement de l'à pic. Et à cette racine, un objet ordinaire pour la plupart des gens s'y était accroché : mon alliance.
Je tentais de retenir mon souffle, mais la trouille me faisait haleter. Sauver par mon amour, j'allais mourir par ma respiration. J'entendais leur voix se rapprocher. Ils se disputaient sans que je ne comprenne rien à leur discours, les vagues successives qui s'effondraient au pied de la falaise couvraient leur voix. Et mon souffle, compris-je plus tard.
Une éternité plus tard, ils étaient partis. Mon doigt me faisait mal mais je bénissais l'heureuse idée qui m'avait fait accepter de me marier. Mon pauvre époux devait se demander où j'étais passée une fois de plus. Cela faisait une éternité que j'étais repartie.
- Vous manquez à votre époux madame.
Moui... je sais. La phrase tournait et retournait dans ma tête tandis que je m'agrippais à la racine pour me remettre d'aplomb sur une frêle margelle de roche. Cette femme ne me voulait que du bien. Elle était amie avec lui et si elle s'était permise de me rabrouer ainsi, c'était sans doute parce que j'avais manqué à un devoir essentiel. Parfois, il me manquait trop de jugeotte pour faire une épouse convenable. Je ne possédais pas toutes les clés d'une relation humaine. Il était celui en qui j 'avais le plus confiance au monde, mais parfois ses sentiments me déstabilisaient. Etait-ce une raison pour fuir comme je le faisais ?
Je levais les yeux vers le bord de la falaise. J'en étais malheureusement encore loin. Comment faire pour remonter ?
Le plus urgent était de reprendre quelques forces. Je m'accroupis dos à la falaise, en équilibre sur mes orteils pour grignoter un peu de pain et de poissons. Je n'avais pas peur, j'étais une équilibriste en permanence, marchant sur une corde raide. L'écume blanche me semblait toutefois trop lointaine pour que je songe descendre jusqu'à la plage que je devinais.
- Ma douce...
Un fil de soie m'enveloppa. Il m'avait trouvée ! Où que j'aille, il savait me trouver, prévenue par ce lien psychique si fort qu'est le mariage. Il savait quand j'étais en danger et quand j'avais peur. Il recevait par décharge violente les émotions qui m'étreignait quand je me savais sur le point de mourir. Mon pauvre amour...
Il m'entoura de son affection et me ramena contre lui, loin du bord de la falaise. La nuit était à nous et sans qu'aucun autre mot ne se soit échangé, nous ne fûmes plus qu'un, symbiose d'émotions et de sentiments.
Au petit jour, j'étais seule. Mes vêtements déchirés ne cachaient plus grand chose de l'essentiel. J'avais les mains écorchées et les lèvres douloureuses. Les cheveux emmêlés et le corps douloureux.
Avais-je rêvé qu'il était venu me sauver ? Je bus pour calmer la soif qui me tiraillait les lèvres puis me mit en route vers les terres du Mortulum. Il était temps de prendre quelques vacances.