La nuit était tombée depuis déjà un long moment recouvrant de son heureuse noirceur les rues, les ruelles et les allées. La ville était d’un silence mortel, mais de temps en temps, le son d’une dague sortant à l’air ou d’un cri étouffé dans un gargouillement de sang pouvait rappeler aux habitants que leurs quiétudes étaient bien fragiles, une fois le rideau tiré.
Dans le noir, toutes les maisons se ressemblent, les couleurs s’effacent et laissent place aux variantes de gris, les porches se transforment en gouffres d’une noirceur à couper au couteau et les fenêtres sont alors fermées, donnant l’impression aux passants qu’ils sont maintenant seuls dans un territoire sombre et hostile. Deux hommes habillés très sombres venaient de sortir silencieusement du côté d’une de ces battisses, l’air aux aguets et peut-être certains oseraient peut-être même dire qu’ils avaient l’air de malfrats. Les deux silhouettes attendirent quelques instants sur place, leurs têtes encapuchonnées tendues vers le haut pour fixer une fenêtre au dessus d’eux sur leur droite. Puis, comme pour répondre à leurs regards, de la fumée sortit du volet et une lumière vive apparu de l’autre côté de celui-ci. Les deux hommes n’attendirent pas plus longtemps, leur travail était accompli et ils prirent immédiatement la fuite dans le passage le plus obscure qu’ils trouvèrent.
L’incident passa inévitablement inaperçu à la vue de la population environnante, un feu n’est pas chose rare et a surtout la fâcheuse habitude d’effacer les traces d’accidents tragiques beaucoup moins appréciés en général. Le matin venu, a une certaine distance de ce nouveau tas de cendre, deux frères se levaient, les yeux un peu hagards mais le moral bien perché. Le plus vieux et de même le plus petit des deux était évidement le premier debout, il fit ses exercices matinaux en une dizaine de minutes, se nettoya et s’habilla tout aussi rapidement. Vêtu de pantalon noir souple qui moulait ses jambes athlétiques, ainsi que d’un chandail blanc recouvert de sa tunique de cuire habituelle, Uvy D’Argorym s’était ensuite rendu devant la chambre de son frère pour l’attendre. Le moment était très important et il supportait très mal d’attendre, mais malgré toutes les envies qu’il avait de courir et sauter à pieds joints sur son frère, il resta sur le côté de la porte à taper du pied avec ses bottes fraîchement cirées.
Les deux frères finalement réunis, ils se dirigèrent vers leurs rendez-vous avec leurs mentors. Uvy avait maintenant 108 ans, l’âge environ auquel on devient un homme chez son peuple, et comme tout bon Nargolith, il s’était préparé a son examen très minutieusement et s’était évidement assuré une bonne longueur d’avance. Ainsi, fut-il le premier à se présenter devant son mentor puisqu’il était lui-même le plus vieux de quelques années. Le visage impassible, la tête haute, ses bras musclés se rejoignant dans son dos, Uvy avançait dans une pièce sombre éclairée que par quelques braseros dispersés dans les coins et au milieu de la salle. Assis sur un trône de bois au relief de cuivre, le mentor avait regarder son élève entré avec beaucoup d’attention, il devait être sûr que celui-ci aurait la prestance et l’attitude que son sang exigeait. Évidemment, il ne trouva rien à redire de son élève, il semblait toujours aussi soigné et son élégance cachait trop souvent sa grande force physique, chose toujours admirable. Il se garda encore quelques minutes à contempler son élève puis éleva la voix, l’examen pouvait commencer.
Évidement, les connaissances de l’élève étaient parfaites. Sa culture générale était excellente, le jeune homme (si l’on pouvait déjà dire) savait chanter convenablement ainsi qu’apprécier tout genre d’orchestre. Il avait une connaissance primaire mais suffisante des mathématiques ainsi qu’une croyance inébranlable en Narshoul, à qui il donnait assez fréquemment des offices. Il était clair pour le mentor que ce jeune homme était près pour l’examen final, celui de vaincre de la façon de son choix un adversaire dont il connaissait préalablement l’identité. Aussi, la surprise fut fragrante quand Uvy regarda son mentor droit dans les yeux pour lui dire que le « duel » n’aurait pas lieu. En fait, expliqua-t-il à son mentor, les adversaires avaient eu un malheureux accident durant la nuit puisqu’ils avaient malencontreusement brûlés après avoir reçus par hasard six pouces d’aciers entre les omoplates.
Le mentor fit sur le moment de gros yeux, puis quelques secondes plus tard il éclata de rire. Ce n’était pas la première fois qu’Uvy faisait preuve d’initiative, mais c’était sûrement la première fois qu’il le disait aussi ouvertement, éclaircissant plusieurs soupçons de « disparition » ou « d’accidents » divers lier a des concurrents directs, ainsi il eut une fois de plus la certitude que cet élève était véritablement méritant de son futur rang. Le mentor fût donc « forcer » d’admettre que si l’adversaire ne pouvait être présent, c’était alors une victoire par forfait, le mentor sourit légèrement et donna ses félicitations au nouvel adulte et au futur assassin que la famille D’Argorym conterait parmi ses rangs.