Prologue :
Le voile de Narshoul.
« Aucunes nouvelles du sieur Ilish’shaan Saddlerian monseigneur… Votre ainé semble avoir disparu mais aucun signe ne démontre un quelconque enlèvement… »
Avait annoncé le messager au sire Azyr’shaan Saddlerian sous les regards inquiets du reste de la dynastie, demeurant sans nouvelles de leur ainé depuis tant de lunes.
« J’ai toutefois retrouvé ceci dans sa dernière résidence connue, bien que je ne puisse savoir ce que cela signifie… »
Poursuivit le messager en sortant de sa poche une mèche de cheveux parfaitement tressés. La dernière mèche était sertie d’une broche à l’effigie d’une rose noire taillée dans de l’obsidienne. Le baron Azyr’shaan pris celle-ci au creux de sa main et se contenta de sourire mystérieusement, reconnaissant entre toutes les teintes celle que portait cette délicate crinière… Une mèche de cheveux d’Allyanna’shaan , morte depuis plusieurs mois. La tresse indiquait par son état de parfaite conservation qu’elle appartenait à une personne vivante et ne présentait aucun signe de détérioration…
Première partie :Les contrées du nord.
La morsure du froid traversait la toge du nécromancien, les dents acérées de cette contrée ou un hiver éternel s’abattait sans relâche depuis la nuit des temps.
Le poids du lourd sac que transportait Ilish’shaan rompait ses épaules à chaque pas, il lui semblait que les vents enneigés s’amplifiaient à mesure qu’il approchait de son objectif. A ses cotés marchait une jeune femme, portant une toge noire masquant ses traits. Elle portait elle même divers sac et bagages, marchant inlassablement vers les hauteurs escarpées de la montagne étincelante. Le pic principal de la formation rocheuse prenait en ces heures une dimension mystique, la tempête de neige formant un tourbillon cristallin autours de celui-ci, tandis qu’un soleil blafard tentait timidement de percer l’amas brumeux.
Ils marchaient ensembles, leurs corps recouverts de larges épaisseurs de vêtements.
Une petite silhouette noire et une grande silhouette toute de blanc vêtue.
Leurs pieds s’enfonçant de plus en plus dans cette mer glacée, alors qu’ils débutaient leur ascension vers les cimes.
La marche fut périlleuse mais ils parvinrent à rejoindre le sommet au terme de plusieurs jours, exténués, le visage craquelé par le froid. Ils avaient établis différents campements le long de leur périple, économisant les vivres et les paroles à chaque halte. Une fois au pied du pic majestueux, ils observèrent une cavité large et accueillante. Une caverne taillée par des êtres disparus depuis des siècles dans laquelle ils menèrent tout deux leurs pas. Ilish’shaan alluma une torche à l’aide de différents outils et pris place au sein de la dite cavité.
On pouvait y observer d’antiques gravures et de mystérieuses runes inconnues du commun des mortels…Mais pas du sieur Saddlerian dont le regard serpentait de pierres en pierres, un sourire se dessinant lentement sur ses lèvres gercées. Il fit signe à la jeune femme de disposer les bagages à un endroit précis du site et pris marche vers un grand renfoncement circulaire au centre de la grotte. Il déposa son grand sac sur la stèle gravée de milles empreintes cabalistiques. La stèle avait une forme creuse, comme une sorte de grand bassin destiné à accueillir la forme exacte d’une femme. Il ouvrit le sac et avec une délicatesse extrême, il en sortit le corps de sa femme, Lenoia Saddlerian. Toute vie avait quitté cette enveloppe charnelle mais aucun signe de décomposition s’était visible, le corps disposé au sein de la cavité dans un état de parfaite conservation.
Il disposa Lenoia avec soin, comme un amant disposant l’être aimé dans le lit nuptial. Les yeux d’Ilish’shaan brillaient comme deux feux follets, enflammés d’amour et de mélancolie. Il déposa un baiser sur le front de la morte puis recula lentement, ne quittant jamais des yeux sa bien aimée. Alors que des larmes commençaient à couler sur ses joues glacées, la jeune femme présente à ses cotés ressentit un frisson de surprise et afficha une expression de totale incompréhension…C’était bien la première fois qu’elle voyait l’ainé des Saddlerian verser une larme ou afficher un sentiment humain. Le nécromancien leva ses bras et prononça une longue et lancinante mélopée mystique, une incantation qui résonnait dans toute la caverne, créant une polyphonie de voix entremêlées en une spirale. La jeune femme porta la main à son front, semblant durant un instant comme envoutée et décontenancée par l’effet hypnotique de ce chant étrange.
Ilish’shaan baissa ses bras d’un geste sec et impérieux. Les voix se turent toute ensemble, au sein du silence on commença à voir les glyphes gravées dans les murs prendre une teinte spectrale et briller. Un son persistant se développa lentement…Les pierres chantaient…La musique pris de l’ampleur jusqu'à en devenir insupportable pour la jeune femme qui porta ses mains à ses oreilles et se mit à hurler de douleur, s’effondrant sur le sol. Au terme de quelques minutes de vacarme durant lesquelles Ilish’shaan était resté serein et immuable, le bassin ou se trouvait Lenoia commença à se remplir d’une brume verte émeraude, sa silhouette magnifique disparaissant au sein de ces volutes mystérieuses.
Le nécromancien s’approcha lentement du creuset pour observer le processus. Au terme de celui-ci, la cavité était comme pleine d’un amas de cristaux émeraude. Sous la surface, on distinguait le corps de la morte, comme figée pour l’éternité dans un immense joyau. La jeune femme se releva doucement, ne comprenant visiblement pas les évènements, comme perdue. Elle reprit pied et se rapprocha d’Ilish’shaan doucement, ses pas résonant dans la grande caverne. Elle se disposa au coté d’Ilish’shaan, observant le corps de la morte prisonnière de l’émeraude, puis portant son attention au nécromancien. Les larmes de celui-ci s’étaient étalées sur ses joues et avaient prise une dimension glacée et cristalline, à la manière de stalactites perlant sur son visage.
D’un geste froid, le nécromancien passa sa main sur ses joues.
Les cristaux se brisèrent et scarifièrent son visage à jamais.
D’épaisses gouttes de sang chutèrent sur la surface verte du creuset.
« Vous portez vous bien mon cher grand frère ? »
Demanda avec douceur, la jeune femme, visiblement inquiète.
« Ne craint rien Allyanna… Ne craint rien ma chère petite sœur. »
Répondit il en prenant la main de celle-ci dans la sienne, le regard perdu, ne pouvant détacher ses yeux du corps de sa bien aimée…
Seconde partie :Les stigmates de l’entropie.
Deux larges cicatrices.
Une pour chaque joue.
Ilish Lentement voyait son corps changer. Un régime à base de plantes poussant sur les corniches environnantes, accompagnées par les chairs de quelques petits animaux de passage, avait affaibli un peu plus ses forces physiques. Il réduisait donc ses occupations au sein de cette caverne mystérieuse à de longues séances de méditation, à des prières en une langue insoupçonnable, économisant toutes ses forces vives. Allyanna quant à elle posait milles et unes questions à son frère et demeurait sans réponses, luttant contre un froid extrême qu’elle ne pouvait supporter. Une année passa en le silence de cette caverne au sein de laquelle l’ainé ne parlait plus, le nécromancien scrutait lentement le cristal au demeurait sa bien aimée au corps immuable, figé dans le temps pour toute éternité en un cercueil brillant de magie. Des taches noires et étranges commencèrent avec le temps à apparaitre sur le corps d’Allyanna, la pauvre enfant ne comprenant pas ce changement qui ne semblait pas alerter l’attention de son frère. Ilish contempla un soir ces noires exhalaisons et prononça ses premières paroles depuis près d’un an. Il plongea ses yeux livides dans ceux de sa sœur terrorisée et dit :
« L’ordre du monde te rattrape ma chère et tendre sœur. Même moi, je ne puis lutter contre le destin. Je t’ai permise de marcher quelques instants de plus à la surface de cette terre, mais ta place n’est plus ici. Tu es un souvenir ayant repris vie, un souffle léger devant reprendre sa place au creux du grand vent. Je t’ai donné naissance une seconde fois mais Kalos ne tolère guère longtemps ces petites escapades… ».
Il prit par la suite la main de sa sœur. Celle-ci affichait une mine décomposée, observant les marques de sa déchéance physique avec un étonnement naïf et déconcerté. Le nécromancien savait que la déchéance de l’esprit d’Allyanna avait déjà débuté depuis longtemps, la perte de la mémoire et des facultés intellectuelles en une lente agonie, avant que le corps mort-vivant ne rende son dernier souffle, ne retourne dans les bras de la mort pour toute éternité. Ilish mena sa sœur au bord de la haute corniche du pic argenté, ou un vent tourbillonnant charriait toujours milles étoiles de givre, vers les cieux d’un blanc d’ivoire ou le soleil scintillait timidement.
« Pardonne-moi sœur. Mais telle est la destinée, implacable pour tous. Puisse Narshoul te guider vers le berceau ténébreux de sa gloire immuable et veiller sur ton âme noble. Transmet mes amitiés à nos ancêtres et assure les que le blason des Saddlerians fut, est, et sera à jamais debout et flamboyant. »
Annonça Ilish d’un ton de glace à sa sœur, dont les lèvres vibraient d’incompréhension et de peur. Ilish porta sa main à l’épaule d’Allyanna, déposa un doux baiser à son front puis la poussa dans le précipice. Un cri déchirant percuta les glaces millénaires tandis que la jeune femme sombrait dans le vide et disparaissait dans les nuées de givre. Ilish ferma les yeux un instant et alors que le cri de sa victime ne fut plus qu’un écho, résonnant à l’infini en decrescendo, il porta un sourire à ses lèvres craquelées et prononça :
« Voici ton paradis… Fait de doux rêves mon enfant… »
La parole qui ponctuait chacun de ses passages au charnier… Alors qu'il lançait les corps sans vie de ses victimes, les enfants sacrifiés à ses recherches démentes. Il songea aux conséquences de ses actes, arborant toujours ce sombre sourire, se rassurant d’avoir sauvé sa sœur d’une lente décomposition et d’une agonie sans pareille. Il réalisa son incommensurable insensibilité forgée au fil du temps et cela le réjouit. Il touchait du doigt cette perfection du corps et de l’esprit à laquelle il aspirait depuis tant d’années, il lui semblait sentir Narshoul flotter autours de lui, parmi les ombres rampantes de la caverne lui faisant dos. Il se surprit à maudire en silence les dieux, marmonnant doucement en un souffle. La création toute entière lui semblait une mascarade idiote, un jeu d’échec aux cases noires, aux pièces noires, sans âmes.
Il ria, levant ses bras aux cieux en prière, singeant le fidèle implorant des dieux ridicules. Ses yeux prenant la rondeur démente de deux soleils éteints, débordants d’une raison moribonde. Il avait tué sa propre sœur après lui avoir rendu la vie, il avait déserté sa famille et sa patrie, passant pour mort au reste du monde. Sa bien aimé figée à jamais dans un cercueil de cristal invoqué de ses propres mains alors qu’il avait tant lutté pour ramener celle-ci à la vie… Le néant… Le vide… et le silence entouraient son cœur. Narshoul avait posé son doigt au creux des entrailles d’Ilish. La perfection. L’absence de toute destinée.
Qui pouvait détruire désormais ce qui était devenu par essence un Non-être ?
Ilish prépara le deuil de son âme durant 20 longues années, au sein de cette caverne oubliée du monde des vivants, ce trou glacé abandonné des Dieux ou seul les ombres se glissaient en souriant. Il médita en silence, les yeux clos. Ne mangeant que par nécessité et non plus par gout. Ignorant la morsure du froid et dévorant à pleine dent sa solitude. Analysant les sphères de la réalité avec une morbide sensibilité, ne discernant plus les formes mais la profondeur abyssale de la vérité mise à nue. Le nécromancien était vide. Libéré de toute chose. Totalement libre en sa non-existence.
Une nuit…
Il rassembla ses dernières affaires et quitté la caverne sans même un regard vers le cristal. Il déposa devant l’entrée de celle-ci une étrange petite boite gravée de runes, quittant ensuite les lieux vers le lointain. Une fois au pied de la montagne, il trouva sur un tas de roches enneigées le squelette d’Allyanna. Le crane fissuré, dirigé vers le ciel et la mâchoire ouverte, implorante. Il tourna ses yeux vers les hauteurs du pic et prononça une incantation magique, clôturant son invective par un geste ferme de la main droite. Un flot d’énergie noire obscurcit la montagne durant une seconde tandis qu’en les hauteurs la caverne s’effondrait sur elle-même, emportant avec elle le corps de Lenoia ainsi que tous les secrets millénaires de la dynastie des Saddlerians. Ilish esquissa un sourire et, reprenant son chemin, écrasa le crane sous sa botte, voilant sous sa capuche son visage, un visage portant en sa chair les stigmates de l’entropie.