Le Point de vue de l'auteur et du metteur en scène.
Ah Cilias, si vous aviez vu comme ils étaient beaux mes acteurs. Rentrant tellement bien dans leur costume, dans leur rôle.
Bien sûr, je m'inquiétais d'avoir mit Lodlo face à Mieszko. Sachant leur rivalité, n'avais-je donc pas joué un peu trop avec le destin ? Les deux seraient armés ... j'en avais fait des cauchemars toute la semaine, imaginant la lame de Castel plongeant dans le coeur de Faebus et m'arrachant le mien au passage, responsable et coupable d'avoir voulu m'amuser un peu avec la vie des deux grands de Sombrum.
Le grand soir est arrivé. Ca faisait trois jours que je ne dormais plus et les réconforts des uns et des autres ne m'aidaient pas. Le cou bloqué par la nervosité, prête à sauter à la gorge de celui qui oserait me taquiner au sujet de l'Opéra, j'avais préparé mes fards et mes ombres, prête à transformer le professeur Eneichem, si sage, si courtois, en le plus redoutable des prédateurs sexuels : Faebus.
Prête à transformer le brillant stratège militaire Mieszko, si sûr de lui, si confiant, en le plus suicidaire des hommes : Castel.
Prête à transformer le bibliothécaire Lerake, si effacé, si timide, en le plus aventurier des Narrateurs.
Prête à transformer la dame Melwas, si spontanée, si fougueuse, en la timide et prude Selyna.
Les deux autres acteurs n'auraient pas vraiment besoin de mes services, ressemblant déjà aux deux autres rôles.
Oui, j'étais prête. Angoissée, inquiète, paniquée, mais prête.
Il fallait que ce fut une réussite.
Alors nous sommes tous partis, à travers les marécages, vers la Morte et son théâtre. Comment le public allait-il nous accueillir ? Comment allait-il apprécié mon oeuvre ? Mon bébé, ma création !!!
Dernière répétition de placement, puis les premiers spectateurs arrivèrent. Et le spectacle commença. La magie opérait sur moi. Je voyais les personnages prendre vie et l'émotion m'étreignait. Ah qu'il était beau Castel, dans son costume de pureté blanche.
Oh qu'il était envoutant Faebus, avec son corps moulés dans de sombres atours.
Et ma Sélyna, pure, innocente et prude. Je fondais pour elle, pouvant déjà déclâmer son texte. Et elle jouait merveilleusement bien.
Mon narrateur occupait la scène avec brio. Mes Morts savouraient d'avance leur prochain festin et moi, je triomphais à l'arrière scène, le coeur battant la chamade, amoureuse de mes répliques, débordant de fierté.
Honte à moi... milles fois hontes !
Soudain... le drame. Le cauchemar se réalisait. Tandis que Castel frappait Faebus, le sang gicla et se répandit sur la scène, pour la plus grande joie du public. Il faut dire que jusqu'à présent, ils n'étaient guère enthousiastes et franchement... je regrettais d'avoir dit oui au Vicomte.
Leur cris de joie m'alarmèrent. Et le sang aussi. QUOI ? Il avait osé !!!
Tous sur scène s'étaient figé. Le sang n'était pas prévu au programme. Furieuse, j'intimais l'ordre de poursuivre cependant. Le spectacle devait continuer.
Je regardais Faebus se vider de son sang, le ventre tordu par l'angoisse. Etait-ce grave ? Allait-il mourir ?
Tandis que l'hésitation se poursuivait, je bousculais Castel, l'obligeant à donner sa réplique... à tort. Ca n'était pas son tour.
C'était ma faute. Mais les yeux fixés sur le sang de Lodlo, je n'avais qu'une hâte, que la scène s'achève. Il avait osé !! Malgré mes nombreux cauchemars, je n'aurais pas imaginer Mieszko profitant de la situation pour frapper son adversaire.
Ils finirent par se relever, Faebus également.
Soupire....
Je repris mon souffle. Il était vivant.
Ils me rejoignirent à l'arrière scène, tandis que le Narrateur donnait sa tirade finale. Et moi je frappais Mieszko avec le manche d'une fausse faux.
- Avez-vous perdu la tête ?
- Je n'ai rien fait ! Ma lame est émoussée, voyez vous même ? et il n'y a pas de sang.
Lodlo de répondre que c'était lui qui s'était ouvert l'abdomen pour faire plus vrai.
Maugréant après ces imbéciles qui m'avaient fait peur, je les poussais sur la scène pour qu'ils aillent saluer.
Vivement j'allais les présenter au public qui applaudissait.
A quel moment au juste leur opinion avait-elle changé ?
Couchée dans le noir, Dantes ronflant à mes cotés, je ne dormais pas. J'aurais dû, mais non. Mes nerfs retombaient doucement et je sentais plutôt l'envie de pleurer que de dormir.
Je me relevais donc et allais m'asseoir près du feu dans la salle principale, buvant un thé à petite gorgée, caressant ses pieds nus qui dépassaient de ma longue chemise de nuit.
Dans une semaine, la représentation allait avoir lieu à Sombrum. Malgré moi, j'imaginais à nouveau le sang jaillir de Faebus, frappé à mort par Castel. Non.. ça avait déjà eu lieu.
Ce serait donc mon prochain cauchemar : je m'avançais sur la scène, débordante de fierté et de bonheur devant le succès de l'Opéra. Le public en liesse, criait des vivas et des bravos. Puis je saluais avec ma troupe.
Me relevant, je jetais un oeil vers le public, vers les Hastanes et je recevais un carreau d'arbalète en plein coeur.
Mon orgueil m'avait tuée. Gisante sur scène, je rendais mon dernier souffle dans les bras de ceux que j'avais le plus aimé au monde : mes acteurs.
Un frisson m'étreignit. Ca n'était pas cette semaine que j'arriverai à dormir encore...
L'Opéra avait été un succès.